Concrètement, Qu’est-ce que l’UX writing ?

Tout le monde en parle. Écrit dessus, mais au-delà de la théorie, l’UX Writing ça marche comment ?

Gladys Diandoki
12 min readAug 8, 2019

Il y a quelques jours, Torrey Podmajersky publiait Strategic Writing for UX aux Éditions O’Reilly. Au-delà des microcopy, l’UX writer qui a officié chez Xbox et est désormais chez Google, nous donne les clés pour comprendre ce qu’est le métier et où en est la discipline. Entretien.

Qu’est-ce que l’UX Writing ?

L’UX writing consiste à choisir les mots de l’expérience utilisateur, soit : les titres, les descriptions, les boutons, les champs du formulaire, les messages d’erreur. Tous les endroits où les gens peuvent voir des mots et faire en sorte qu’ils les aident à comprendre l’expérience, à avoir confiance en elle et, surtout, à faire ce qu’ils sont venus faire. Mieux nous choisissons ces mots, plus les gens apprécieront leurs expériences, reconnaîtront la marque derrière elle et en tireront de la satisfaction. Ces derniers temps, j’ai entendu beaucoup de confusion. Certains pensent qu’il s’agit de parler de l’expérience et de la documenter. C’est important. On ne peut pas construire ces expériences, sans en parler. Pour clarifier, l’UX writing aussi connu sous les termes content design, UX copywriting ou UX content strategy, a pour objet l’expérience que l’utilisateur va vivre.

OK. Pouvez-vous me raconter comment vous avez débuté dans l’UX writing ?

Oui. J’ai commencé après avoir enseigné au lycée. J’ai donné des cours de sciences physiques et de chimie pendant neuf ans. Puis j’ai quitté l’enseignement pour me lancer dans la communication. J’étais responsable de la communication interne chez Microsoft. Je m’occupais de tout, des mails du Vice-Président aux newsletters en passant par l’organisation de réunions pour une division. Lors d’une réorganisation, mon patron m’a soutenu et m’a dit : « Pourquoi utilisez-vous cette compétence en coulisse ? Faites des produits. Il faut trouver un travail au sein de l’équipe produit pour les améliorer ».

J’aimerais savoir ce qui était différent de ce que vous aviez l’habitude d’écrire ?

Il est plus simple de dire ce qui est identique. C’est écrire avec un but précis. Nous n’écrivons pas pour faire une belle œuvre ou pour séduire ou engager comme dans la fiction. On ne cherche pas à créer de beaux personnages, des mondes merveilleux, ni rien de tout cela. Il faut générer des idées, atteindre des objectifs, faire progresser les gens et les motiver à agir. Cela se distingue aussi du marketing et de la publicité, qui consiste à faire entrer les gens dans le tunnel d’achat, à les mener aux points de conversion, à les faire passer d’un produit à un autre, ou leur donner envie d’acheter. Je fais très rarement ce genre d’écriture, qui est une spécialité à part entière. Moi je dis, « vous vouliez vous connecter ? », « vous voulez réaliser cette action dans l’application ? Laissez-moi vous expliquer comment procéder ». Ce fut un grand changement pour moi quand j’ai commencé l’UX writing. Comment utiliser mes compétences et mon expérience pour fabriquer un produit ?

À cette époque, alors que vous ne savez pas ce qu’est l’UX writing, mais que vous avez ce talent. Comment vous y prenez-vous ?

Le responsable du recrutement des rédacteurs techniques chez Xbox, Pete Kelly, qui dirigeait l’équipe d’UX writers, m’a expliqué ses objectifs et le fonctionnement. Le problème qu’il devait résoudre était de permettre aux adolescents d’ouvrir leur boîte Xbox et de l’installer sans réveiller leurs parents, le matin de Noël. Il voulait ce genre de moments magiques où, ces enfants devraient comprendre des notions techniques assez abstraites et tomber amoureux du monde du gaming. Nous rédigions l’interface utilisateur de la console, et non les jeux. La console est la partie dont ils ont besoin pour lancer les jeux, mais c’est aussi la barrière entre eux et leurs jeux. Donc, si nous pouvions les aider et leur donner de la joie et de la satisfaction, rapidement et sans heurts, nous aurions fait notre travail. Nous les aidions à jouer, tout en appréciant la marque. Tout le monde est content.

Vous êtes dans la communauté des UX Writers depuis le début. On pourrait dire que vous faites partie de son histoire. Que retenez-vous ?

L’histoire est en train de s’écrire. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Mon livre est le premier publié par un grand éditeur sur l’UX writing, ce qui me dépasse. C’est fou. Surtout parce que l’histoire de l’UX writing n’est pas nouvelle. Nous utilisons des mots dans les interfaces depuis que les ordinateurs sont passés des cartes perforées aux écrans. Dès que nous avons commencé à avoir des écrans faciles à lire par l’homme, nous avons utilisé des mots. Comment avons-nous passé autant de temps sans penser à ces mots de façon systématique et stratégique, pour atteindre nos objectifs ? Vous allez dans le métro, il y a des panneaux qui indiquent où aller. C’est de l’UX writing. Son histoire est donc à la fois ancienne et moderne.

Avant, ils étaient rédigés par des designers, on ne les appellait pas UX, juste Designer…

Exact. Dans de nombreuses entreprises, les designers sont responsables des mots. Habituellement, c’est la partie de la conception à laquelle tout le monde contribue, pendant de longues réunions. Généralement, à la fin, soit les bons mots ont été miraculeusement suggérés, puis acceptés par le groupe. Soit tout le monde les déteste, mais celui qui a le plus d’autorité déclare que c’est terminé. Trouver ces mots peut être extrêmement difficile. Chez Microsoft, beaucoup de départements n’étaient pas comme Xbox. Ils consultaient des rédacteurs techniques. Si les designers ou les product owners étaient coincés, ils appelaient ces gens et leur demandaient : « Comment devrait-on appeler ça ? » Puis ils recevaient habituellement des mots très techniques qui étaient explicites si vous connaissiez déjà le domaine. C’est donc une des façons dont ces mots sont produits, parfois encore aujourd’hui. Il y a des équipes où il y a des UX et à part, une équipe de contenu avec laquelle l’équipe UX travaille d’une manière ou d’une autre, parfois à la fin pour “réparer” les mots avant le développement. Enfin, ce qui est ma manière préférée de travailler. Certaines équipes sont composées d’UX ou de product teams qui ont des designers, des graphistes, des motion designers, des content designers, et des designers d’interaction. Tous ont une pièce et travaillent ensemble pour résoudre les problèmes en utilisant l’ensemble de leurs compétences.

Vous êtes dans le métier depuis 2010, qu’est-ce qui a changé ?

Je pense qu’à l’instar du design, dont la valeur a été davantage reconnue comme étant absolument essentielle au succès d’un produit et à l’expérience utilisateur, les gens commencent à comprendre que le contenu fait aussi une énorme différence dans la conversation. Les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé avaient généralement l’anglais comme langue commune, en interne. Mais j’ai des collègues dont la première, la deuxième et la troisième langue n’est pas l’anglais, mais nous ne voudrions pas ne pas les engager simplement parce qu’ils ne vont pas écrire en anglais comme on le souhaite dans l’interface. En partageant leur expertise, je peux travailler avec mon équipe en Inde, en Chine, en France ou en Ukraine, dans un grand nombre d’endroits, et dire, génial, voici ce que nous devons faire en anglais pour le public américain. Nous en avons besoin. Alors je collabore avec mon équipe chargée de l’internationalisation pour m’assurer que la traduction est correcte, mais aussi la configuration, qu’elle soit adaptée à toutes les langues.

Si la définition en français n’était pas la même que celle en anglais, pourrait-on la modifier pour qu’elle soit plus pertinente ?

Absolument. Et je pense qu’il est nécessaire d’ajuster la langue, parce que les gens ont ne réalisent pas toujours à quel point l’anglais utilise les expressions idiomatiques. La traduction littérale peut produire de l’absurde.

Quels seraient vos conseils pour structurer la discipline ?

Oh, c’est une grande question. Mon conseil est de continuer à nous considérer comme des UX, comme des gens qui se concentrent sur la conception d’expériences exceptionnelles pour ceux qui veulent les utiliser. Ils ont des objectifs à atteindre, tout comme les entreprises ont des objectifs vers lesquels elles veulent tendre. En nous concentrant sur les silos : « je travaille sur les mots » ou « j’utilise des icônes ou je fais des interactions » ou autre. Si nous travaillons ensemble, en respectant les compétences de chacun et en nous disant : « Dieu merci, tu es là », on est en train de résoudre ce problème complexe. C’est une façon intelligente d’éviter de répondre à la question sur l’organisation. Parce que différentes équipes devraient être organisées de différentes façons, n’est-ce pas ? Nous avons de grandes entreprises avec des organisations très hiérarchisées. Ces équipes doivent être capables de se regrouper autour d’un problème et de le résoudre. Dans une structure hiérarchique, ils ont peut-être le contenu séparé de l’UX ou séparé du produit ou de l’ingénierie. Il y a peut-être un sens à cela.

Comment savoir si une entreprise est prête à travailler avec des UX writers ? Comment mesurez la maturité d’une entreprise ?

Je pense que c’est un problème extrêmement difficile à résoudre. Les sociétés pour lesquelles le contenu peut faire une différence sont celles où il y a un problème d’UX à résoudre. Je pense que c’est indépendant des problèmes de contenu, car franchement, il n’y a pas de problème d’UX sans contenu. Nous utilisons des mots entre humains ; il semble ! Même pour les photos, celles-ci ont besoin d’explications.

Donc, si une entreprise est à la recherche de designers, si l’attitude générale est, « ce n’est pas joli ». « Ce n’est pas satisfaisant de cette façon ». « On n’a pas l’air bien ». C’est un problème très différent de celui-là : « mes utilisateurs ne savent pas quoi faire » ou « mon équipe ne reconnaît pas mon application sur le marché. »

Je pense qu’il y a de vrais problèmes commerciaux et de véritables métriques avec lesquels l’UX peut faire une différence. Qu’il s’agisse de contenu ou d’interaction, de conception graphique, de motion design ou de conception sonore, nous, les UX, devrions garder un œil sur ce que nous pouvons changer en matière d’engagement, de rétention, de reconnaissance, de facilité, d’intégration et de convivialité.

Si une entreprise ne tient pas compte de ces paramètres, c’est un problème. S’ils disent : « On a besoin que ce soit beau. » Il y a des temps pour la beauté, et c’est très précieux. Mais c’est le moment idéal pour embaucher une agence de branding qui vous donnera un ensemble de « jolies » options, ils sont experts en la matière. Ensuite, ils n’auront pas à gérer une équipe qui finira par être frustrée parce qu’on leur demande de maintenir un joli site, sans régler les problèmes de convivialité, d’engagement, de rétention et d’onboarding. C’est le genre de problèmes que, d’après mon expérience, les UX sont capables de résoudre avec brio. Une entreprise atteint un certain niveau de maturité UX quand elle dit : nous avons ces problèmes fondamentaux dans notre business model, et pour résoudre ces problèmes nous avons besoin des personnes qui nous donnent leur argent et qui utilisent notre produit pour agir différemment. Lorsque nous avons besoin que les gens changent leur comportement, vous avez un problème que les UX peuvent résoudre, et vous avez aussi un problème d’UX writing. C’est là que nous pouvons agir !

Une UX writer que je connais m’a posé une question pour vous au sujet des outils. Parce qu’aujourd’hui, nous n’utilisons pas d’outils particuliers pour l’UX writing. Qu’utilisez-vous ?

Franchement, j’utilise ce que mes designers utilisent. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de bons outils adaptés à l’UX writing qui auraient toutes les fonctionnalités dont j’aurais besoin. Le plus grand obstacle est la difficulté à intégrer toutes ces personnes créatives à la conception d’un même produit. Si vous aviez sept sculpteurs qui travaillent sur la même statue, ce serait également un problème. Donc, si j’ai un designer qui utilise des Google Slides, j’utilise des Google Slides. Si un designer utilise Sketch, j’utilise Sketch. S’ils utilisent Figma, j’utilise Figma. Mais ce que je fais toujours, c’est que je conçois mon texte à l’intérieur des designs pour que nous puissions choisir le texte en le replaçant dans son contexte. Si je les mettais simplement dans un Google doc ou dans un tableur Excel ou en commentaire, nous ne saurions pas de quoi ça a l’air, et ça donnerait un rendu très différent.

Comment vendre l’UX writing ? Que ce soit en interne ou à un client. Quel serait le meilleur conseil ?

Mon conseil : rappelez-vous les objectifs et dites-vous : « Que souhaitez-vous qu’il se passe ? Comment les gens doivent-ils se comporter ? Comment doivent-ils se sentir ? Tu crois que le texte t’y emmène maintenant ? Les gens se comportent-ils comme vous le souhaitiez ? Le contenu peut parfois faire une différence. Si c’est interne, je peux dire : « J’ai vu ce que vous proposez, et j’ai des idées sur la façon dont nous pourrions mieux atteindre nos objectifs ». J’essaie de ne pas aller voir les gens et leur dire : « Votre application est épouvantable. Regardez tous ces mots ; c’est une erreur » parce qu’ils voulaient peut-être que les gens le regardent et se sentent intimidés et confus. Ce n’est pas ce qu’on veut en général, mais si c’est le but, alors super.

Quel est le profil idéal pour devenir UX writer ?

Je pense qu’il faut avant tout aider les gens à atteindre leurs objectifs et développer sa capacité de voir les choses d’autres points de vue. J’en suis arrivée là en enseignant, c’est une compétence très semblable. Les personnes qui comprennent comment les autres voient le monde et souhaitent aider, sont capables de penser différemment.

Pour quelqu’un qui veut débuter. Comment un aspirant UX writer peut-il créer son portfolio ?

Il y a d’excellentes ressources en ligne pour voir d’autres portfolios. Selon moi, il est nécessaire de garder en tête qu’il s’agit d’un instantané, d’un moment dans le temps et d’un document de vente. Vous expliquez : « J’ai ces compétences, ces ressources, ce point de vue qui peut être précieux pour ce genre d’expérience. » Tout comme la publicité que nous voyons sur les panneaux d’affichage. Ils sont différents des publicités d’il y a 10, 20, 30 ou 50 ans. Les styles évoluent, et nous devons être conscients de ce à quoi nous sommes comparés. Donc, il faut montrer des données significatives : Quelles sont les décisions que nous prenons ? Dans le portfolio, expliquez quels étaient les contraintes et le contexte. Passez en revue le problème qui a été résolu. Comment a-t-il été mesuré ?

Tout le monde parle d’IA et d’assistants vocaux. Croyez-vous qu’il s’agit du travail des UX writer ou est-ce que quelqu’un d’autre doit prendre en charge cette partie du travail ?

Il s’agit de l’une des missions de l’UX writer, et c’est incroyablement complexe. Les gens pardonnent quand il y a beaucoup de mots rédigés et des bizarreries dans l’écriture. Mais pour les assistants comme Siri, Cortana, Alexa, celui de Google, si ce n’est pas juste, si ce n’est pas parfaitement conçu, ce sera bizarre et on l’éteindra. Il y a donc une chance, en tant qu’UX designer, de content designer, ou d’UX writer, pour bien faire les choses.

Quelles compétences devons-nous acquérir pour ça ?

Les mêmes, à mon avis. Toutes ces compétences de base comme la langue utilisée ? Comment être bref ? Comment le faire par écrit ? Il y a aussi cette superposition du ton et de la voix, et le fait de formuler les choses sous la forme de questions ; le fait de ne pas utiliser les mots de la même façon, le rythme. Tout cela est du design, et ce n’est pas du tout ma spécialité. Il y a des auteurs extraordinaires qui font ça. J’ai hâte de lire d’autres livres à ce sujet.

Quel est l’avenir de UX writing ? Quelles sont les tendances à venir ?

Nous continuerons à utiliser les mots pour créer des expériences interactives. Nous en saurons beaucoup plus à ce sujet. Il y a des parties de mon livre, dans lesquelles j’explique ce que j’utilise, et tout n’est pas validé par la recherche. Alors, s’il vous plaît, si vous effectuez des recherches, partagez-les parce que nous avons besoin de meilleurs outils. Nous devons mieux comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Dans un monde idéal, un livre bien meilleur que le mien sera écrit dans une autre décennie. Nous en saurons beaucoup plus et nous aurons beaucoup plus à bâtir.

Pour aller plus loin :

Lire : Strategic Writing for UX par Torrey Podmajersky

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Gladys Diandoki

I’m a UX writer interested by people, human centered and systemic experiences.